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Intelligence artificielle & RH : un duo pertinent

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Au-delà du buzzword, qu’est-ce que l’IA peut apporter aux entreprises en matière de recrutement, de gestion des talents ou de formation digitale ? Chercheurs, éditeurs de logiciels et autres experts du marché éclairent la voie sur les synergies.

Intelligence artificielle et Ressources Humaines - © D.R.
Intelligence artificielle et Ressources Humaines - © D.R.

1 - IA dans la sphère RH : de quoi parle-t-on ?

L’intelligence artificielle (IA) est un ensemble de techniques mathématiques et informatiques disparates, qui visent à simuler certains traits de l’intelligence humaine.Le machine learning est l’une d’elles : il permet à un robot d’apprendre automatiquement, et donc de tirer des conclusions qui gagnent en pertinence à mesure qu’il est entraîné.Quant au deep learning, il tente d’imiter les réseaux de neurones du cerveau, ouvrant la voie à des innovations spectaculaires, mais souvent prospectives, en matière de reconnaissance faciale, d’analyse de sentiments ou d’analyse d’un niveau de langue, par exemple.

Dans les RH, des usages balbutiants

« Toutes les entreprises mettront tôt ou tard une solution d’IA derrière leurs outils de production. En revanche, elles ne sont pas encore prêtes à investir des sommes folles dans une IA appliquée à leurs propres RH », constate Geoffroy de Lestrange, Product Marketing & Communication Director EMEA de Cornerstone on Demand.

Selon une étude McKinsey de 2018, 52 % des entreprises du retail ont adopté une IA pour leurs process marketing, mais seules 8 % l’ont fait pour leurs RH. Si l’intelligence artificielle est aujourd’hui moins développée dans les RH qu’elle ne l’est dans la logistique ou la finance, c’est d’abord parce que le ROI escompté est moins évident. « L’IA dans les RH, ce sont souvent des budgets monstrueux pour accoucher d’une souris », confirme Christophe Bergeon, patron de la start-up Zest.

Entre « IA-washing » et « IA-bashing »

Sans compter que l’IA suscite une grande méfiance au sein d’une profession qui ne badine ni avec place de l’homme dans l’entreprise, ni avec la protection des données. Selon le cabinet EY, d’autres barrières empêchent l’adoption de l’IA dans les RH : le manque de compétences techniques des professionnels… et le nombre limité d’applications ayant déjà fait leurs preuves à échelle industrielle.

Pourtant, les outils ou logiciels RH « dopés à l’IA » fleurissent sur le marché, avec leur lot de promesses alléchantes : recruter plus vite et mieux en réduisant les risques, décharger les centres de services partagés RH, attirer et retenir les talents avec une expérience hyper-personnalisée, prédire les départs et les crises sociales, aider à la décision en matière de mobilité interne, etc.

S’il est si difficile de faire la part des choses entre l’affichage marketing et les bénéfices réels, c’est avant tout que l’IA peut prendre des formes très différentes, plus ou moins palpables pour l’utilisateur final.

IA conversationnelle, IA décisionnelle…

Premier type d’usage de l’IA dans le spectre RH : accéder à une information perdue dans la jungle du Web et/ou dans un système d’information. Un CV, une compétence, une donnée administrative (jours de congés restants…), une formation, etc. En fonction du contexte, l’information peut passer par le prisme d’un système de matching ou d’un chatbot.

Au cœur de ces approches se trouve le traitement automatique du langage naturel (Natural Language processing ou NLP en anglais), qui aide la machine à comprendre les subtilités du langage humain et à les reproduire.

Autres usages : analyser des informations en masse pour automatiser des tâches basiques, identifier des anomalies et/ou suggérer des actions. L’IA peut par exemple recommander l’augmentation salariale d’un collaborateur à un moment T pour maximiser sa rétention. Les logiciels de paie et SIRH commencent progressivement à intégrer ce type de moteurs de contrôle et d’aide à la décision dans leurs systèmes.

Et le prédictif ?

Une question demeure : l’IA peut-elle vraiment prédire l’avenir en analysant le passé (ou, au mieux, le présent) ? On lui reproche souvent de suggérer ce que l’on sait déjà ou de prédire des banalités. « Elle peut deviner des critères de succès par rapport à ce qu’elle observe… mais avant d’arriver à un résultat personnalisé, il faudrait un nombre de données infini. L’IA prédictif est un peu une ‘boîte noire’ qui intègre les non-dits de l’humain et ceux la machine », conclut Yves Loiseau, General Manager de Textkernel.

En somme, entre ce que l’IA sait faire pour les RH, ce qu’il est légal ou éthique de faire - et ce qui nous échappe encore, la question devrait nous occuper encore quelques décennies.

(article de Gaëlle Fillion)

2 - Recrute-t-on mieux grâce à l’IA ?

Le recrutement a été le premier terrain de jeu de l’IA dans les RH. Du sourcing au onboarding, en passant par la mobilité interne, les solutions de recrutement qui se sont positionnées sur le créneau de l’intelligence artificielle ne se comptent plus.

« L’IA est beaucoup utilisée, mais par petites briques : elle ne prend pas en charge tout le processus de recrutement. On assiste à un séquençage des tâches, partagées entre le recruteur et l’IA », analyse Géraldine Galindo, professeure associée en GRH à l’ESCP Europe.

Automatisation du tri des CV, personnalisation de l’expérience candidat, constitution facilitée du dossier administratif : si les gains en termes de temps et de coûts ne font guère de doute, l’IA entend aussi aider les recruteurs à réduire les erreurs de casting et à trouver des perles rares sur des marchés en pénurie de talents.

L’IA sous surveillance

Pour certains disciples de l’IA, la machine serait par nature plus neutre et objective qu’un humain. Les déboires du robot-recruteur d’Amazon, qui avaient fait grand bruit fin 2018, ont toutefois laissé des traces et exacerbé les doutes.

« C’est souvent par manque de surveillance qu’on se retrouve avec des robots misogynes ou xénophobes, qui copient bêtement ce qu’ils voient. Comme chez l’humain, on a rarement de miracles quand on laisse une intelligence rudimentaire se développer seule », observe Yves Loiseau de Textkernel.

Pour Géraldine Galindo, un autre biais empêche une ‘IA recruteuse’ d’être 100 % objective dans son traitement des candidats : le profil des développeurs qui l’ont conçue. Souvent des hommes de type caucasien (ou asiatique pour le cas des Etats-Unis) plutôt jeunes, inconsciemment influencés par leur propre situation personnelle.

Scruter les soft skills

Grâce à des fonctionnalités avancées de matching et d’évaluations psychométriques, la solution de recrutement prédictif AssessFirst, promet de recommander des candidats 15 % plus performants et de réduire le turnover de 50 %.

De son côté, EasyRecrue commercialise une IA adossée à son module d’entretiens vidéo différé. Le principe de cette outil baptisé « Smart ranking » : classer des candidats en fonction de leur aptitude pour la communication et pour le travail en équipe, considérées par la startup comme les deux compétences sociales « les plus appréciées de la majorité des recruteurs ». Pour ce faire, le système capte et analyse les données verbales et non-verbales de chaque postulant : la singularité et la diversité de son vocabulaire, mais également son débit de paroles, ses hésitations, etc.

« Nous n’avons pas vocation à jouer les apprentis sorciers. Notre produit est issu de deux années de recherches, en lien avec un comité scientifique universitaire », explique François Vimont, VP Product & Growth d’EasyRecrue.

La diversité des données

« Ce qui saute aux yeux, c’est le caractère stable de ce que propose l’intelligence artificielle. Elle reproduit ce qui a déjà existé, en intégrant des variables connues. Or, les entreprises ont besoin de nouvelles compétences, avec des profils moins normés », explique la chercheuse Géraldine Galindo.

Pour qu’une IA puisse véritablement recruter ‘mieux’ qu’un humain, il faudrait qu’elle croise un très grand nombre de critères, y compris des données plus personnelles, comme les souhaits de vie, par exemple.

« Plus on donne de variables à une IA, moins le top 10 des résultats a de chance de se ressembler. Si elle dispose d’un temps infini et une bande passante illimitée, elle est capable d’explorer des scénarios que personne n’avait envisagé  », conclut Yves Loiseau.

(article de Gaëlle Fillion)

3 - Expérience employés : quelle contribution de l’IA ?Après les chatbots RH…

Cet automne, Oracle a annoncé le lancement d’un assistant digital capable de procéder à des actions sur son logiciel par commande vocale. Ainsi, avec cet outil, un employé peut valider des demandes de congés ou des notes de frais ; gérer les objectifs de ses collaborateurs, les inscrire à des formations, etc.

« Oracle a conçu une vingtaine de « conversations », ou autrement dit des domaines fonctionnels associés à un champ lexical. L’utilisateur peut interagir par la voix, mais aussi sous des formats texte, type SMS ou Slack« , explique Sylvain Letourmy, HCM strategy director chez Oracle.

Dans le même esprit, les fonctionnalités  »Workday People Experience«  ou  »SAP conversational AI«  promettent aussi de rendre les collaborateurs plus productifs en facilitant et en personnalisant leur expérience.

Le défi de la pertinence

En théorie, une IA bien entraînée (et bien informée) pourrait même devenir un coach, capable de prodiguer des conseils personnalisés aux collaborateurs en matière de management ou de choix de carrière. Quiconque a déjà échangé avec un bot, par écrit ou à l’oral, sait toutefois combien l’expérience peut être frustrante et décevante, tant les réponses sont parfois génériques ou tombent à côté de la plaque.

 »Il n’y a pas d’IA de qualité sans donnée abondante, fiable et comparable d’un pays à un autre. L’IA n’est pas une solution magique qui viendrait combler les manques d’un système« , reconnaît Sylvain Letourmy. Et d’ajouter :  »Si tant d’organisations déploient des projets core RH en ce moment, c’est justement pour stabiliser et rationaliser les données - et aller vers une démarche d’IA durable« .

Capter la « voix des employés »

Gartner considère que l’analyse de la voix des employés (« VoE analytics ») est un des champs de l’IA les plus utiles et prometteurs pour les RH. Ici, l’idée de voix se réfère aux ressentis des collaborateurs - pas forcément à l’organe vocal qui permet de les exprimer.

Le postulat de base : recueillir des signaux faibles sur les préoccupations, les attentes ou les besoins des collaborateurs permettrait aux RH et aux managers d’améliorer l’engagement et la performance de leurs équipes. « Proposer des fonctionnalités d’IA sans pouvoir capter de la data en temps réel, c’est mettre la charrue avant les bœufs. Les données RH périment très vite », observe Christophe Bergeon, fondateur de l’application Zest.

Au-delà de l’analyse des évaluations annuelles et des enquêtes de satisfaction des employés, forcément biaisées et rapidement obsolètes, l’enjeu consiste à capter des données brutes à la source pour analyser les intentions et sentiments. A travers les outils de feedback permanent comme Zest qui exploite ce segment sous l’angle de la gamification.

Pourra-t-on un jour aller plus loin, et capter ce type de signaux faibles grâce au deep learning dans les documents de travail des collaborateurs, pendant leurs calls ou dans leurs mails ? Sans doute. D’ailleurs, Talentsoft a récemment conclu un partenariat avec Microsoft pour pouvoir accéder aux données d’Office 365.

(article de Gaëlle Fillion)

4 - Formation digitale : quand l’IA favorise l’apprentissage

C’est d’abord pour répondre à des besoins de conformité et de pilotage que les logiciels de gestion de la formation ont exploité l’intelligence artificielle. Depuis 2015, Cornerstone on Demand est doté une fonctionnalité permettant d’anticiper le risque qu’une population cible ne finisse pas une formation obligatoire dans les temps, par exemple.

« Nous existons depuis 20 ans, nous avons plus de 40 millions d’utilisateurs : en tant qu’éditeur de logiciel, les données, nous les avons », explique Geoffroy de Lestrange, Product Marketing & Communication Director EMEA de ce grand LMS américain.

Data et contenus : double carburant de l’IA

Grâce au machine learning, de nombreux learning management systems (LMS) se sont inspirés de Netflix pour recommander des contenus de formation aux apprenants, en fonction de leur profil métier, des cours en ligne déjà visionnés, etc.

Pour être pertinent et viser juste, faut-il encore pourvoir s’appuyer sur un catalogue suffisamment large et au goût du jour. Car la valeur ajoutée d’une IA ne dépend pas seulement de la qualité de son algorithme, mais aussi de la quantité et de la diversité de grain qu’on lui donne à moudre.

Pour ce faire, Cornerstone a d’abord fait le choix de s’adosser à des partenaires concepteurs de formation (Cegos, Ted Talks), avant de développer un outil permettant de sourcer et suggérer automatiquement aux apprenants des contenus gratuits identifiés sur le Web. « Nous venons de lancer DNA, une offre de nano-learning destinée aux digital native et créée par Cornerstone », ajoute Geoffroy de Lestrange. Face au potentiel offert par l’IA dans le digital learning, la bataille semble surtout se jouer sur le terrain du contenu.

Et l’efficacité dans tout ça ?

La tendance de l’adaptive learning, dont on parle tant, consiste-t-elle seulement à mettre en avant la bonne thématique de formation à la bonne population cible au bon moment ? MySeriousGame utilise l’IA pour tester empiriquement des modèles pédagogiques, les réajuster - et ainsi optimiser l’efficacité de ses formations digitales.

« Certains apprenants sont scolaires et cartésiens : pour apprendre efficacement, ils ont besoin d’un contenu explicite et hyper structuré. D’autres ont besoin de jouer ou de confronter leurs idées. Le défi de l’adaptive learning, c’est d’être capable de déceler très vite le profil de l’apprenant afin que le contenu s’adapte non pas seulement sur le fond, mais aussi sur le format et sur les modes d’évaluation », explique Frédéric Kuntzmann, CEO de MySeriousGame.

Sur quelque 500 contenus de formations livrés chaque année par la start-up, seule une dizaine intégreraient une dimension d’adaptive learning. Le frein est financier, mais pas seulement. « Les entreprises sont parfois réticentes au recueil de données, même si on constate de plus en plus d’ouverture », conclut le CEO.

A quand la création de contenus par l’IA elle-même ? Aux Etats-Unis, l’application Wibbitz permet déjà de créer automatiquement des modules sur un thème donné, en compilant des fragments d’articles de presse, des images et des vidéos, le tout accompagné d’une voix-off générée automatiquement. Ce type d’outils dopés à l’IA devront aussi faire leurs preuves en matière d’efficacité pédagogique.

(article de Gaëlle Fillion)